jeudi 16 juin 2016

Correspondance 14-18 – " Se plaindre serait faire preuve d’égoïsme "

Chevalier M.
Nouvelle adresse, la Nième
Convois automobiles, par le magasin central d’automobiles. 270e section TM Groupe B - Ecole des Arts & Métiers, Paris.

7 novembre 1914
Mon cher Monsieur,
Je reçois ce matin votre carte datée du 29 octobre et je m’empresse d’y répondre.
De ne pas recevoir toutes les lettres qui me sont adressées, je n’en suis nullement surpris car depuis mon départ j’ai changé d’adresse presque aussi souvent que de chemise. Ce qui m’étonne davantage c’est que mes lettres ne parviennent pas à leurs destinataires, alors que j’évite tout renseignement susceptible de les faire arrêter par la censure. Je commence à désespérer de pouvoir vous faire parvenir de mes nouvelles, ma dernière lettre qui date d’un mois environ, semble, par votre carte, ne pas vous être encore parvenue. Bref, j’espère que la présente sera plus heureuse.
Après être restée inactive pendant près de trois semaines, la section à laquelle j’appartiens a recommencé à rouler. Je ne sais si l’on veut nous faire rattraper le temps perdu, mais nous marchons tout le jour et la nuit en partie. J’ai gardé de me plaindre, car pendant la période d’inaction les jours m’ont semblé trop longs. Se plaindre serait faire preuve d’égoïsme, nombreux en effet, sont les camarades qui ont enduré des privations que je n’ai pas encore connues et qui en outre, sont plus exposés que moi. Comme le zouave, je peux écrire : santé bonne, pas blessé, tout va bien.
Je m’explique aisément que vous qualifiés de considérable, le surcroît de travail qui vous est actuellement imposé, tous vos collègues, qui pour la plupart n’assurent qu’un service, m’ont fait la même réflexion.
Devant considérer mon intérim à Monchamps ( ?), j’avoue que pour le moment, je suis sans préoccupation au sujet de mon ancien service. Néanmoins vous avez relevé dans mon service des erreurs qui m’auraient échappé. Je vous serais très gré de me les faire connaître, afin que je puisse, en temps utile, les régulariser. Pour ce qui est de la commande d’imprimés, je ne l’avais pas encore faite susceptible de partir d’un moment à l’autre, je voulais éviter au nouveau titulaire d’avoir à prendre des imprimés ne lui faisant pas besoin, et pour cette cause, je retardais l’envoi de ma commande à Berger-Levrault.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs et tout dévoués.
M. Chevalier
Très heureux de savoir que Mr. Percaux ( ?) est votre fidèle collaborateur, je vous prie de lui transmettre mes bonnes amitiés.



Comme on peut le constater, une longue lettre qui aura rempli non seulement tout le verso de cette carte, mais aussi le recto, recouvrant de fait une partie du visuel. Nous somme le 7 novembre 1914, et cela fait à peine plus de trois mois que le conflit est commencé. Cela se ressent à la lecture de ce texte. Pour le moment, son auteur n’a pas encore pris part au combat, et ne fait que se déplacer avec son convoi automobile, après une période d’inaction qui lui a semblé longue. Il ne se doute certainement pas que cette guerre va durer plusieurs années, tant il semble encore très attaché à son travail qu’il vient à peine de quitter, et pour lequel, il règle quelques affaires avec son interlocuteur, qui semble être un collègue, un supérieur, ou peut-être même son patron.
Il évoque d’ailleurs une commande d’imprimés prête à être passée chez Berger-Levrault, célèbre éditeur (Nancy – Paris – Strasbourg). On n’en apprend pas assez pour en déduire précisément l’activité de M. Chevalier, peut-être un travail administratif, cette lettre étant plutôt bien formulée, c’est tout ce que l’on peut en dire.
On constate, comme pour beaucoup d’autres soldats, que toutes les cartes ne parviennent pas toutes à leur destinataire, la censure n’expliquant pas tout, d’autant que M. Chevalier dit prendre soin de ne rien communiquer d’important quant à leurs mouvements… mais peut-être que le simple fait de signaler le lieu d’où on écrit peut, dans certains cas, revêtir une importance militaire stratégique ! Et bien sûr, le fait de se déplacer continuellement n’arrange certainement pas les ces affaires postales.

Le visuel de la carte représente une vue prise en direction de la cathédrale, depuis le quartier des laines, et même si la guerre est commencée depuis peu, elle a déjà fait son lot de destruction. Le cliché est daté du 18 septembre 1914, comme le précise la légende, cette date a de quoi surprendre. En effet, le célèbre incendie qui mutila Notre-Dame de Reims ayant eu lieu le 19 septembre, une photo prise la veille ne peut nous montrer la cathédrale ayant perdu la totalité de sa toiture et de ses charpentes !
Aucune maison ne semble intacte dans ce triste panorama. Seule la cheminée paraît encore se dressée fièrement au milieu de la désolation. On reconnaît au premier plan les ruines de l’ancien couvent des Cordeliers, et un peu plus loin à gauche, les équipements militaires rue St-Symphorien.
Rien dans le courrier ne nous permet d’affirmer que M. Chevalier soit bien passé à Reims, en dehors de la photo de cette carte postale… mais on peut imaginer qu’il avant inexorablement en direction du front… et qu’il serait bientôt à pied d’œuvre.
Dans l’adresse notée au verso, on lit 270ème section TM… TM pour Transport du Matériel (Escadron du Train des Equipages Militaires).
Il me semble que maintenant, cette carte n’a plus beaucoup de choses à nous révéler… à moins de poursuivre les recherches, afin d’identifier un peu plus précisément ce monsieur Chevalier M.

Ci-dessous, quelques CPA de Trains des Equipages (19e à Sainte-Mesmes) :




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