30 juillet 1917
Chers amis,
j'ai bien reçu votre lettre du 22, je vous remercie.
Nous avons eu chaud la journée de samedi dernier, 28 kilomètres en partant à 5h du matin, arrivé à 5h du soir.
Pas mal d'hommes sont tombés d'insolation avec ce casque qui nous boue la tête et tout le fourbi.
Encore 2 jours de marche pour arriver à "cr" mais il y a 2 jours que nous attendons ordre en cas de Flandres.
Je suis monté en aéro hier. Ce métier a l'air tout à fait plaisant surtout lorsque l'on est pas bombardé.
La descente seule m'a seulement un peu oppressé, mais avec un peu d'habitude, je vous assure que j'en ferais autant que certain qui ne bougent pas de l'arrière des lignes.
Et quelle différence de vie, je suis certain que si la guerre finissait demain, ils seraient bien les premiers embêtés...
et nous qui ne voulons plus en entendre parler tellement nous en avons plein le dos, des pertes et des souffrances.
J'ai aussi reçu la lettre de Mme Friot du 22, faites-leur part de mes amitiés ainsi qu'à Mme Savignat, Mme Destrée et M. Adolphe.
Je sous serre la main cordialement.
Paul Brun
Nous poursuivons ainsi notre dépouillement des correspondances écrites pendant cette noire période de la Grande Guerre. C'est Michel Thibault qui nous fait profiter d'une intéressante carte, écrite par Paul Brun... dont nous ne connaissons pas pour le moment, l'origine.
Beaucoup d'éléments de cette carte nous interpellent ! Déjà, on prend la mesure des ces marches, de ces déplacements de troupes "à pied"... avec tout le barda et sous n'importe quelles conditions climatiques... là, nous sommes témoins de 12h de marche, sous un soleil de plomb, avec un équipement aussi lourd que "cuisant"... et les hommes tombent "comme des mouches".
Encore 2 jours de marche pour arriver à "cr"... qu'est-ce que "cr" ??? Comme évoqué sur la phrase inscrite au recto, peut-être s'agit-il de Craonne ? difficile à vérifier je pense :
Le village Ville-aux-Bois était déjà rasé quand nous étions par ici en 1915, il était tenu par les boches, depuis l'affaire Craonne est entre nos mains, ce château en est à 25 kilomètres.
Cet ajout sur la carte nous apprend que Paul BRUN était déjà dans les combats, et dans notre région, deux années plus tôt, en 1915, on comprend évidemment qu'il en ait "plein le dos des pertes et des souffrances".
Paul parle de Craonne, nous sommes donc en pleine actualité, car cette carte a été écrite peu de temps après l'offensive de Craonne au printemps 1917.
Le courrier nous fait également part d'une expérience intéressante - nous l'imaginons aisément - d'être monté dans un aéro !
On peut se demander s'il s'agit d'un aérostat ou d'un aéroplane ? Il y a fort à parier qu'il s'agisse plutôt d'un aérostat, ballon captif, destiné à la surveillance et l'observation des lignes... les fameuses saucisses !
Une occupation qui paraît donc "rêvée" pour Paul BRUN, qui lui, subit de plein fouet les combats. Et pour cause, ce travail d'observateur est assez méconnu des hommes de troupe qui en "bavent" dans les tranchées. On imagine combien ces aérostiers-observateurs doivent être ménagés et "chouchoutés", du fait de l'importance des renseignements qu'ils peuvent fournir pour les réglages de l'artillerie, mais aussi pour les services de renseignement de l'armée.
Et pour terminer cet article, revenons sur le visuel de la carte, Ruines du Château de la VILLE AU BOIS, incendié le 15 septembre 1914 (façade ouest). Commune de Breuil-sur-Vesle, propriété de M. Le Comte de Sachs.
Cela corrobore l'indication de Paul BRUN, passé par ici en 1915, après que la Ville-aux-Bois ait été rasée.
On ne peut qu'être attristé à la vue des ruines de ce château, qui était une véritable "petite splendeur" quand il était encore debout, dans une magnifique propriété boisée, avec de nombreuses dépendances, une chapelle, et un petit édifice mauresque, sur lequel je n'ai encore trouvé aucune information.
Le château était la propriété de Ferdinand Georges, baron de Sachs, homme d'affaires, politicien et philanthrope français d'origine allemande, né au duché de Nassau le 2 mai 1818 et décédé le 22 mars 1890 à Breuil-sur-Vesle, en son château de la Ville-aux-Bois. Il était également comte romain, chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand et de l’ordre de François-Joseph d’Autriche, négociant-propriétaire de vins de Champagne et maire de Breuil.
Neveu du député et maire de Reims Édouard Werlé, il vint s'installer à Reims vers 1840 et fut son associé au sein de la maison de vins de Champagne Veuve Clicquot-Ponsardin jusqu'en 1868. Il élut domicile au château de la Ville-aux-Bois, commune de Breuil-sur-Vesle, ville dont il fut maire.
Il fit construire, à l'emplacement de l'ancien cimetière de Rocquincourt, à Courcy (Marne), la verrerie et sa cité vers 1870. Elle est d'abord gérée par M. Denis, sous la raison sociale Denis et Cie, puis par Jacques Grivelet à partir de 1898, qui apprit le métier à la verrerie de Loivre. La verrerie de Courcy devient la société en commandite par actions "Givelet et Cie" dont le président du conseil de surveillance était M. de Sachs.
Il contribua pour une bonne part à la fondation du collège Saint-Joseph de Reims et des écoles libres de la même ville, et fut l’un des agents les plus actifs de fondation de la Trappe d’Igny ; à la suite de cette intervention, M. le baron de Sachs reçut, du pape Léon XIII, le titre de comte romain héréditaire.
M. de Sachs avait fondé l'hôpital de Sachs en 1889, sur le territoire de Vandeuil, en reconnaissance du rétablissement de Mme la comtesse de Sachs après une fort dangereuse maladie. Cet hôpital était destiné à recueillir les malades de treize villages aux alentours de son château (wiki).
Voici quelques cartes postales, de ce château de la Ville-aux-Bois, au temps de sa gloire... avant les désastres...
Laurent ANTOINE LeMog
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